Le témoignage de Manon est tout simplement beau. Magnifique. Émouvant. Exceptionnellement bien écrit. Merci pour ce merveilleux texte qui m’a rappelé tant de souvenirs…
{Témoignage} C’est l’histoire de ton arrivée
25.03.16 – 4h03
Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais au beau milieu de cette nuit là, je me réveille soudain et me redresse dans le lit. Entre mes jambes, un liquide chaud. Je perds les eaux. Que le marathon commence. Car cette naissance, je la vois vraiment comme un marathon. S’y être préparée, l’attendre. Se dire que l’on ne maîtrisera pas tout (et ici rien) et ne pas savoir à quel moment on franchira la ligne d’arrivée.
Ton père se réveillera lui aussi et je n’aurais qu’à lui dire « je pense que je perds les eaux » pour qu’il bondisse du lit en enfilant un tee-shirt.
Mes jambes flageolent. Tu es en route. Nous n’allons pas tarder à faire ta connaissance. J’attends ce jour depuis neuf mois et pendant quelques secondes je laisse ma peur prendre le dessus sur mon impatience de te découvrir. Quelques secondes de pure frayeur comme un shot de vodka que je boirai cul sec. Et puis c’est fini, je suis prête. Nous sommes prêts. Nous n’attendions plus que toi pour commencer notre nouvelle vie.
Comme je l’avais assuré à ton père, avant de partir j’ai pris une douche, je me suis coiffée et un peu maquillée. Je voulais me faire belle pour toi. Je voulais que tu sois fière d’avoir une maman comme moi. Alors je commençais à avoir un peu mal mais j’ai fait attention aux détails : un peu de poudre, un trait d’eye-liner, quelques gouttes de parfum discret sur mes poignets.
Ton Papa rassemblait nos affaires : une valise pour moi, quelques pyjamas et vêtements confortables, ma trousse de toilettes. Et une valise pour toi. Celle que nous avions préparée avec soin, remplie de toutes tes petites affaires minuscules. Tout était prêt depuis quelques semaines. J’avais aussi pris soin de préparer un bouquin (pensant peut-être que j’allais m’ennuyer en t’attendant) et des CD car nous voulions te rencontrer en musique.
Ce matin là, à 05h00.
Roubaix dormait encore lorsque nous avons quitté notre maison. Je ne réalisais pas encore que nous allions rentrer à trois quelques jours plus tard. Nous avions prévenu le chat Nacho qu’il allait devenir grand frère. Et lui qui est un chat très sensible avait bien senti que quelque chose se tramait.
En arrivant à la maternité, ton père me faisait rire. Je pense qu’il avait déjà revêtu sa cape de « super Papa » et cela commençait par là : me faire sourire, m’accompagner comme il le pouvait avec beaucoup de tendresse, de mots doux et d’encouragements.
Nous ne le savions pas encore mais nous allions faire beaucoup de rencontres avant de te voir ce jour-là. Une sage femme de garde nous accueillait d’abord avec le sourire. Après une petite vérification, pas de doutes, je perdais bien les eaux.
A ce moment là, je gérais parfaitement les petites douleurs qui accompagnaient le début de notre travail. Je souriais, j’imaginais ton arrivée. J’étais étonnement détendue. Sereine. J’avais pris la décision de m’en remettre aux professionnels et de leur faire confiance. Je voulais créer une équipe soudée, prête à t’accueillir. Ton Papa et moi étions le pilier de cette équipe mais nous savions pertinemment que nous allions avoir besoin d’aide.
Nous étions installés dans une chambre en attendant de pouvoir entrer en salle de naissance. Allongée dans le lit, je sentais petit à petit que mes contractions se rapprochaient. Je commençais à me rappeler de ces cours que nous avions pris pour « se préparer à l’accouchement ».
Mon seul coach et le seul que j’écoutais, c’était bien entendu ton Papa. Qui me parlait avec sa voix calme, tu sais celle qui t’apaise, qui te raconte des histoires ou qui te chante des comptines. Je ne le savais pas encore mais c’était bien sa voix qui allait rythmer tout mes souffles lorsque les douleurs allaient devenir insoutenables, quelques heures plus tard.
Lorsque je croisais le regard de ton père, nos yeux brillaient « tu te rends compte, on va rencontrer notre bébé ».
Ta naissance, c’était le point final d’une grossesse que nous avions vécu pleinement. Neuf mois c’était le temps qu’il te fallait pour te construire, toi la petite graine qui avait installé son nid dans mon ventre. Ces neuf mois, c’est le temps qu’il m’a fallu pour être impatiente. Les trois premiers mois il a fallu réaliser que notre vie allait changer. Les trois d’après il a fallu penser à préparer ton arrivée et les trois derniers, ne nous restait qu’à compter les jours. Nous en avions profité pour te créer un petit cocon des plus douillets. Nous voulions le meilleur pour toi mon bébé.
11h00, Maternité de Roubaix
Je me tortille dans mon lit, je souffle, je soupire, je grogne, je râle, je ris, je marmonne. Je m’assois, je m’allonge. Je marche, je m’arrête. Je souffre. Chaque contraction est une nouvelle douleur. Je tente de me tempérer en me répétant qu’elles me rapprochent de toi. Ton Papa est assis sur le fauteuil et me regarde déambuler dans la chambre en me parlant doucement. Il a voulu me masser, m’aider à marcher pour que tu puisses trouver ton chemin, il a voulu me caresser le visage, m’embrasser et malheureusement il ne peut plus faire grand-chose. La douleur est telle que je préfère la gérer seule.
J’entre dans une bulle et je pense à toi comme jamais. Chaque contraction dure environ quarante secondes en montant crescendo et j’ai deux minutes pour récupérer après chacune d’entre elles. C’est difficile, c’est même extrêmement douloureux.
Je m’accroche aux draps, je couine tel un animal, je transpire, je rougis, j’ai la nausée, je plie les jambes, les tends. Chaque position me soulage pendant environ un quart de secondes. Avant la douleur, vive, fulgurante. La fatigue aidant je finis par m’endormir entre chaque contraction, m’apaisant à chaque fois que l’une d’entre elles se termine, sursautant à chaque recommencement.
La sage femme qui nous suit m’examine et m’annonce que l’on va pouvoir poser la péridurale. Il est 14h00. Depuis presque 10h00, je tremble de contractions et de ton côté, tu avances doucement, préparant ton chemin.
15h00.
Nue sous la douche, me savonnant à la Bétadine, je fonds en larmes. J’ai mal. C’est long. Ce marathon est-il sans fin ? Je ne vois toujours pas la ligne d’arrivée et j’ai l’impression d’avoir déjà tout donné. A ce moment-là, j’ai du mal à penser à toi. Je pense à ma douleur, à l’effort physique et mental que je réalise depuis plusieurs heures. Je m’impatiente, je pleure de fatigue et je suis toute seule, accroupie dans cette douche, m’agrippant aux parois à chaque nouvelle contraction. Les minutes sont longues, je les compte depuis bien trop longtemps. Je ne veux pas lâcher prise, je veux que ton père soit fier de moi, je veux lui prouver que je peux lui donner son fils.
Finalement il est 16h30 lorsque l’anesthésiste rentre dans la salle de naissance. Je grogne, je couine toujours et j’attends l’apaisement, j’attends la péridurale.
Ton Papa n’a pas le droit d’être là. Je me retrouve seule avec une anesthésiste et une infirmière que je ne connais pas. Je fais le dos rond, je souffle tandis que l’on me pince dans le bas du dos.
Et puis quelques minutes plus tard, je reprends petit à petit forme humaine. Finis les grognements d’animaux, je savoure ma première minute sans douleur. Il n’aura fallu qu’une piqûre, un cathéter dans le bas de mon dos pour que les douleurs s’envolent, s’évaporent comme si elles n’avaient jamais existé. A ce moment-là déjà, comme droguée, mon cerveau oublie les 11 heures de souffrance qui viennent de s’écouler et qui me paraissaient jusque là insurmontables.
Je retrouve mon énergie, ma bonne humeur, je retrouve la force de parler, de discuter et même de sourire. Je suis fière de l’effort que je viens de produire, mais ce n’est qu’un virage du marathon. La ligne d’arrivée, je ne la vois toujours pas.
Ton père peut se détendre lui aussi, lui qui vivait de plus en plus mal de me voir souffrir seule en étant totalement impuissant. Nous soufflons. Et tandis que l’une des sages femmes m’examine, col dilaté a 5, nous comprenons que tu es bien engagé et qu’il ne se passera plus que quelques heures avant notre rencontre. Je frissonne. Je suis comme une petite fille qui attend le Père Noël devant la cheminée ! Je t’attends et dans ma tête je ne cesse de t’encourager. Car je sais que le marathon est beaucoup plus difficile pour toi que pour moi. Je sais que l’effort surhumain c’est toi qui le déploie alors que tu n’es même pas encore né.
Tu avais donc décidé d’arriver ce Vendredi 25 Mars 2016. Alors que tu avais encore devant toi la possibilité de rester 15 jours dans mon ventre. Tu voulais toi aussi franchir la ligne d’arrivée, plus tôt que prévue. Ton papa avait donc raison ! Quand il m’avait vu accroupie et essoufflée dans la cuisine, affairée au nettoyage, il m’avait affirmé « toi, tu vas accoucher ce weekend ». J’avais ri ! « Mais non » j’avais dit ! Mais si… ! Je peux avouer aujourd’hui que j’avais envie d’accoucher ce jour-là. Je ne tenais plus en place à l’idée de compter les jours en t’attendant. J’étais fatiguée, avais de plus en plus de mal à trouver le sommeil. Je me sentais comme une petite baleine échouée. Le ventre lourd, le dos fatigué. Et où étaient passé mes pieds ?
Alors oui, je te l’écris, ce ménage intensif, ce n’était pas du hasard !
Avec ton Papa, nous avions décidé de nous plonger dans une bulle ce jour là. C’était notre moment à deux, notre aventure, celle qui ne concernait que nous et qui nous rendait plus unis que jamais. Alors naturellement, nous n’avions pas prévenu nos familles et amis de notre départ à la maternité. Nous attendions que tu sois là pour les appeler et leur assurer que tout s’était bien passé.
Cependant, certains, pas dupes, ont eu du flair ! Tes mamies, ton tonton Nicolas se doutaient que tu ne tarderais plus, je recevais beaucoup de messages cette après-midi là. Et sans aucun scrupule je mentais ! A ta mamie Cèdes, on assurait qu’on allait se faire un ciné ! Et cela nous faisait rire ! On ne voulait inquiéter personne. On voulait vivre ce périple à deux simplement, sans stress, sans savoir que certains allaient attendre de nos nouvelles.
Il est 20h00 lorsque nous rencontrons Caroline. C’est la sage femme qui prendra le relais pour la nuit et vraisemblablement celle qui nous aidera et nous assistera durant l’accouchement. Caroline est souriante, calme et cela nous rassure. Elle se présente, nous explique le déroulement des heures à venir. En fait, tu n’es vraiment plus très loin. On pense juste qu’il est préférable de te laisser encore un peu de temps pour que tu puisses amorcer ta descente en douceur. Tant que ni toi ni moi ne sommes fatigués, on se laisse encore deux petites heures. J’ai envie de bondir du lit et sauter de joie : tu seras bientôt là.
Finalement il est 22h00 lorsqu’on se prépare à t’accueillir. C’est la dernière ligne droite de notre marathon mais il ne faut pas se précipiter. La journée me semble interminable pourtant elle est passée à une vitesse folle. Je suis exténuée mais j’ai envie de mener ce dernier round.
Autour de nous, Caroline s’installe et prépare ton arrivée. Pour toi aussi c’est le dernier quart temps mon bébé. A cet instant, je ne pense pas à la douleur, je n’ai plus peur de rien. Je veux juste t’avoir dans mes bras et te découvrir enfin. Je suis déterminée à t’aider comme je le peux. Ton papa et moi, avons décidé de t’accueillir en musique. Cela fait partie de notre cocon, de nous et de notre vie. Alors en fond, il y a de la musique. Dans la salle il fait très chaud. L’équipe qui nous entoure se fait très discrète. Et Caroline me guide. Je n’entends que sa voix et même plus notre musique. Je sens les dernières contractions, j’écoute mon corps et sais lorsqu’il faut pousser pour t’aider.
Cet instant là mon bébé, je donnerai tout pour le revivre. Cette fraction de seconde durant laquelle plus rien existait autour de nous, cette magie, cette douceur dans l’air.. On t’a posé sur mon ventre, un vendredi 25 Mars à 22h16 et tu as ouvert les yeux sur le monde. Tu nous as regardé ton père et moi, comme si tu nous connaissais depuis toujours, comme pour nous dire « je suis là maintenant ». Et nous nous sommes fait envahir par une vague d’amour. Un amour fou. Indescriptible. Inconditionnel. On se prend une claque en plein visage, on est emportés dans un tourbillon, le tien, le nôtre. Celui qui nous fera danser de bonheur pour la vie à venir. Oui, tu nous as regardés et toute notre existence a pris son sens. Enfin.
Nous sommes devenus ton Papa et ta Maman. Tu es devenu notre bébé, notre premier enfant, notre premier fils. Et crois-moi mon amour, c’est le plus beau rôle qu’il m’ait été donné de vivre.
Dans ma tête, j’ai des souvenirs qui débordent de douceur et bienveillance : le regard ébahi et émerveillé de ton papa, notre rire en découvrant ton minois, mon besoin de te sentir contre moi, notre instinct de protection. C’était le plus beau jour de ma vie, le jour de ta naissance.
J’adorerais le revivre encore et encore. Retourner dans ce cocon de chaleur ou je n’entendais que les battements de ton petit cœur.
J’étais sans voix de te voir bouger, de t’entendre respirer, tout seul. Je t’ai blotti contre moi et très vite tu as cherché mon sein comme un animal. Et très vite j’ai eu besoin de te le donner, comme une animale… Tu avais de petits yeux gonflés par ce voyage. Nous t’avons observé sous tous les angles, sous toutes les coutures. Tu étais beau, un magnifique bébé avec, déjà, les yeux grands ouverts sur le monde. On le découvrira ensemble mon Amour.
Vous souhaitez publier votre histoire sur le blog ? C’est ici que ça se passe.
Adeline dit
Un très beau témoignage, très bien écrit.
J’espère être capable de rédiger une lettre aussi belle à mon enfant, en souvenir de sa venue au monde.
Marlène dit
Quel beau et émouvant témoignage! On ressent la douleur de l’accouchement mais surtout l’amour! Et cette complicité avec le papa est magique.
J’avoue me souhaiter la même chose, vite j’espère!
( et le grand frère dans tout cela? 😉 )
Belle soirée
Isadora dit
Bonjour, trop jolie témoignage, et en plus votre petit amour est né le même jour que moi
32 ans plus tôt! 😉
J’ai fais comme vous pour chacun de mes enfants j’ai voulu etre « jolie » pour eux, pour cette rencontre si importante… Et puis le fait de s’écouter, retrouver son insect animal que nous éteignons, mais qui est si primordial quand on deviens parents. J’ai appris grace à l’allaitement et à la naissance de mes enfants de plus ecouter mon corps et le non verbal pour gérer pas mal de choses, 😉
Bonne continuation et pleins de bonheur à vous 3
Marie dit
Mon terme est exactement dans deux semaines !… Et j’espère secrètement que bébé montre le bout de son nez demain…
Témoignage si émouvant ! Il me rend encore plus impatiente de faire la rencontre de notre fils, mon premier enfant, le deuxième de Chéri mais son premier fils également…
AudreyA dit
J’ai essayé de relever ton défi. J’avais presque réussi mais je me suis fait submerger par une vague d’émotion à la fin. 4 mois auparavant c’était moi la femme qui devenait maman d’une petite Victoria. . Bravo pour ces jolis mots si bien choisis.