Le viol conjugal est insidieux car il fait croire à celle (ou celui) qui le subit que c’est la normalité. « Il faut faire l’amour pour être heureux », « un couple qui s’aime fait l’amour plusieurs fois par semaine », « et si tu m’aimes chéri.e, tu me ferais bien une petite gâterie ? ». Il y a un an S. nous avait envoyé un premier témoignage sur le sujet, qui avait été publié sur Facebook. Aujourd’hui elle a souhaité expliquer ce qui lui été arrivé. Mettre des mots sur l’horreur pour que d’autres femmes qui pourraient subir la même chose puissent prendre conscience que oui, même si on ne force pas physiquement la personne, c’est quand même bien un viol. Voici ses témoignages.
{Témoignage} Il ne me reste qu’à me pardonner d’être une femme qui n’a pas dit non
Premier témoignage :
S. « Pour moi, ça n’a jamais été par une menace de coups ou sous la « violence ». C’était plus des remarques, des gestes sous la couette quand j’étais endormie à 3h du matin et qu’il fallait que je me réveille pour « soulager » monsieur. C’était quand il voulait, comme lui voulait, et quand je ne voulais pas et que je disais non, il me faisait culpabiliser. J’ai mis plus de 4 ans pour réaliser et mettre un mot sur ce qu’il m’était arrivé grâce à mon nouveau petit ami qui a compris dés qu’il m’a vu ce qui m’était arrivé mais il m’a laissé le temps de faire le chemin toute seule en m’accompagnant. Si je m’en suis sortie, si aujourd’hui avec lui je peux prendre du plaisir et faire vraiment l’amour c’est grâce à son soutien sans faille. J’ai toujours des restes quand même, je ne peux pas dormir dans le noir et pendant longtemps je ne voulais pas qu’il me touche « en bas » car souvent c’est comme ça que mon ex « demandait ». Je pensais simplement faire « mon travail de petite amie » et je pensais que le plaisir d’un homme passait « avant » celui d’une femme ou qu’une femme a forcément moins de plaisir qu’un homme. Aujourd’hui je sais que tout ça est faux mais pendant si longtemps, j’ai cru faire comme il « fallait » pour que monsieur soit content. Merci à vous d’en parler, de briser le tabou et de donner la possibilité aux femmes de témoigner. Pour moi, ce témoignage c’est un premier pas pour oser en parler. »
Que peut-on dire sur le viol conjugal pour ne pas passer pour une imbécile ?
Que peut-on écrire pour ne pas être prise pour une idiote sans respect pour elle-même, sans force, sans résistance, sans rage, sans volonté de se défendre ?
Est-ce si important de ne pas être prise pour une idiote ?
J’aimerais dire que j’ai bien été bête, idiote et non d’avoir été violée mais d’avoir cru que mon corps pouvait être aimé au lieu d’être utilisé.
Je pourrais dire que la première fois et toutes les fois d’après, je ne voulais pas que l’on me fasse ce que l’on m’a fait, je ne voulais pas que l’on me touche où l’on m’a touché.
Je n’ai jamais été coincée dans une rue sombre la nuit, je n’ai jamais été attachée, maintenue, menacée, tout s’est passé dans un lit dont j’ai changé les draps toutes les semaines, dans une chambre que j’ai rangée tous les jours, dans le calme de mes cris silencieux, dans le calme de la rage que je ne pouvais pas hurler.
Je pourrais dire que le pire, ce n’était pas quand j’étais nue, dans un lit trop grand et trop froid, lui sur moi, mais bien quand j’étais sur lui à faire des choses que je ne voulais pas faire, et les faire sans qu’il n’ y ai de menaces, sans cris, sans couteau sous la gorge, sans gifle sur mes joues, dans le calme, dans le silence. Parfois, il n’y a pas besoin de crier pour rendre une personne en un objet.
J’aurais aimé que quelqu’un vienne me sauver. J’aurais aimé être quelqu’un qui méritait d’être sauvée.
Je pourrais dire avec toutes les insultes, les jugements qui pourraient en découler, je pourrais dire, avec sincérité, que je me suis mentis pour ne pas m’avouer que j’étais violée, que je me suis mentis avec toutes mes forces, tout mon courage, toute ma dignité pour rester et survivre.
Je voudrais avouer que je me suis mentis pendant trois ans pour rester quelqu’un, pour rester une personne avec ses sentiments, sa dignité, son respect, son corps, son libre arbitre, que j’ai usé toutes les forces que j’avais pour rester moi, la personne que j’étais, celle que je suis et celle que je serai, pour rester la petite fille que j’ai été.
J’ai fait de mon mieux pour survivre dans la petite personne que je suis, pour que ma vie survive, pour que mon corps survive, pour que mon identité survive.
J’aimerais dire avec toute ma stupidité, toute ma débilité, toute ma lâcheté, que j’ai fait de mon mieux et que personne ne pourra jamais me l’enlever.
Je me suis mentis car il était plus dur d’avouer que j’étais violée que de le vivre. C’était avouer, avec toute ma faiblesse, toute ma détresse, toute ma colère, qu’un homme avait assez de pouvoir sur moi pour me faire faire ce qu’il voulait sans me menacer, sans me frapper, en murmurant qu’il m’aimait.
Comment dire à ses parents : mais où étiez-vous ?
Je n’ai parlé à personne parce que la seule personne à qui j’aurais pu parler n’était plus là. Je n’ai attendu qu’elle, comme une idiote, comme un enfant attend sa mère, comme un chien attend son maître, avec tout mon amour, toute ma détresse, tout mon être, je l’ai attendue. Avec tout mon amour, j’ai espéré qu’elle revienne.
Doit-on justifier tous nos choix quand on ne fait que de notre mieux et que ce n’est jamais assez ? Doit-on justifier toutes nos peurs ?
Personne n’est venu, personne n’est apparu pour me prendre dans les bras et me dire que tout était finit. Elle n’est pas revenue.
J’aurais bien pu passer la porte moi-même, me sauver, prendre mes jambes à mon cou et courir au bout du monde, au bout de la mer, prendre un bateau, prendre un avion, aller là où le soleil ne tombe jamais.
Je n’avais pas ce que les autres ont, ont pu avoir, auront pour aller là où le soleil ne tombe jamais.
Qu’est ce qu’on les autres que je n’ai pas eu ? Est-ce du respect, de la dignité, de la force, du courage ? Combien faut-il de courage pour partir ? Combien faut-il de courage pour rester ? A partir de quelle dose de courage, après quelles actions, retrouve-t-on notre dignité aux yeux des autres quand on n’a pas dit non ?
Est-ce plus difficile pour celui qui part ou pour celui qui reste ? Que reste-t-il de nous quand on part ? Que reste-t-il quand on passe la porte, valise dans une main, courage dans l’autre, nausée à la bouche, peur et dégoût dans le cœur ?
Il ne reste que la vérité. Il ne reste que la faiblesse, la honte, les jugements, l’enfant que l’on a été, que l’on a tous et toutes été qui ne voulait que de l’amour et être protégé.
Il ne reste que l’inavouable, l’inacceptable, l’impardonnable. Il ne reste qu’une trahison envers qui nous pensions être et qui nous sommes réellement. Il ne reste que le vide d’une intimité brisée.
Il ne reste qu’à demander : et maintenant que tu sais, suis-je toujours la même ?
Il ne reste qu’à demander : et maintenant que tu sais, puis-je toujours être aimée ? Après l’horreur, y a-t-il toujours de l’indulgence ?
Je voulais qu’on m’aime. Je voulais qu’on me répète que je n’avais plus à avoir peur du noir, de ses mains qui glissaient sous la couette, de ses mains froides sur moi.
Je suis restée au fond d’un lit, froide à en trembler, pleurant comme un enfant abandonné, nue comme un ver, les bras vides, les jambes enfin fermées, attendant que quelqu’un vienne m’aimer.
Je me rappelle que l’amour n’avait pas d’amour quand il me rejoignait la nuit.
Il y a de la détresse quand une personne est brisée dans son intimité la plus profonde, dans son sexe, dans ce qui lui appartient de droit, dans ce qui lui appartient de donner à qui elle le veut, dans ce que le monde s’apprivoise sans son consentement pour la juger, lui jeter des pierres et des insultes, lui cracher dessus, lui enlever ses droits à la parole et au respect, la réduire à seulement l’objet que l’on a fait d’elle, sans essayer de la comprendre, de la rassurer, de la consoler.
Qui console une putain brisée ?
Je voudrais dire à ceux qui pensent que j’ai beaucoup attendu, que je n’ai pas beaucoup fait, que je n’ai pas beaucoup crié, que j’ai beaucoup pleuré : on pleure beaucoup, on ne crie pas assez, on ne fait pas beaucoup, on n’espère plus assez, on attend plus qu’un chien abandonné quand on est plus qu’un objet qui ne sait plus à quoi il sert.
Il n’y a pas que la honte qui empêche de parler : il y a aussi la souffrance, la douleur et l’horreur dans le regard de ceux qui ne savaient pas, de ceux qui vous aiment. Comment infliger une telle peine à ceux qu’on aime ?
Il m’a fallut plus de quatre ans pour cesser de me mentir, pour qu’une après midi d’été, assise dans mon fauteuil, l’horreur surgisse de nul part et me frappe : j’ai été violée.
Je ne suis pas restée cette petite fille que je croise parfois sur des photos.
On ne m’a pas appris le respect
Je ne suis pas restée cette petite fille à qui on n’a pas appris que les besoins des hommes n’étaient pas plus importants que ceux des femmes, à qui on n’a pas appris le respect dans l’amour et l’amour dans le respect, à qui on n’a pas appris qu’un homme aime avec son cœur et ses mains, à qui on n’a pas dit que l’amour se fait et que faire l’amour avec la personne que l’on aime et qui nous aime c’est le plus serein des cadeaux du monde.
Je ne suis plus cette petite fille à qui on n’a pas appris que son corps méritait d’être respecté et qu’elle méritait d’être sauvée. Je ne suis que cette petite fille qui n’a pas su comment se sauver.
Comment avouer que l’on a pas été capable de dire non ? Comment avouer qu’après tout, la plus grande peur, c’est d’être jugée pour un acte qui a été commit sur notre corps ?
J’aimerais dire que je n’en veux pas à la terre entière, à tous les hommes, car ce ne sont ni tous les hommes ni la terre entière qui m’ont violée. Celui qui m’a violée était un homme responsable de ses choix et de ses actes et qu’aucun autre homme ne devrait payer à sa place, être jugé d’être un homme, être jugé d’être né un homme ; mais que tous les hommes et toutes les femmes devraient être élevés avec la conviction la plus profonde que toutes femmes et tous hommes doivent être respectés.
J’aimerai que mes enfants sachent qu’aimer c’est aimer avec son cœur et ses mains, avec du respect, de l’indulgence, de la compassion, du consentement, de l’écoute, de la compréhension, de la douceur, de la colère et des pleurs, du bonheur et des peines, du plaisir, du pardon et de la tendresse dans chaque geste pour transporter notre amour jusqu’au cœur de la personne qui a fait chavirer le nôtre.
Mais pour pouvoir transmettre à mes enfants ce qu’est l’amour, il ne reste qu’à me pardonner ; me pardonner d’être une femme qui n’a pas dit non et avoir le courage de vivre en étant une femme qui n’a pas dit non.
Car comme l’a dit, un jour, un homme : le courage est le prix de la dignité.
Amalia dit
oh mon dieu j’ai l’impression de lire mes pensées :(((
Anonyme encore pour un temps dit
Merci pour ce témoignage qui m’a servi a ouvrir les yeux sur ma situation il y a un peu moins d’un an maintenant. C’est votre article que j’ai envoyé un soir de rage à mon mari et qui lui a aussi fait comprendre ce que je ressentais et la situation dans laquelle j’étais. C’est grâce à votre témoignage que j’ai compris que je n’étais pas seule et aujourd’hui j’ai profondément besoin de parler pour ne pas que cela se reproduise.
Pour moi ce sont des nuits que j’ai passées à rester accrochée au bord du lit en tournant le dos, des matins à me lever le plus tôt possible pour éviter ses étreintes, des années à culpabiliser de ne pas le désirer autant qu’il le voulait et à subir ses reproches. Le manque de sommeil, la culpabilité, les techniques pour expédier tout ça le plus vite possible, les reproches parce qu’on n’y met pas assez de coeur,… c’est un enfer …
Je recommande à tous et toutes le livre « Pas envie ce soir » de Jean-Claude Kaufmann, une étude sociologique sur le consentement dans le couple, elle ouvre les yeux sur la situation où nous sommes et le rôle que nous avons à jouer pour changer les choses.
Boucle rouge dit
Merci pour ce témoignage très bien écrit, les mots sont poignants, je suis vraiment désolée pour vous. Je vous souhaite beaucoup de bonheur pour la suite, vous n’avez rien fait de mal. Ce que vous dites à la fin sur l’éducation des enfants me touche particulièrement. Qu’est-ce qu’il faut dire à nos enfants pour qu’ils ne vivent jamais ce genre de situation en silence ? Et qu’ils ne le fassent pas vivre à d’autres non plus ?
kenzaya dit
C’est tellement triste de lire à quel point un homme-un être humain- a su et pu vous faire avoir une aussi mauvaise estime et image de vous. J’ai mal au coeur de vous lire, pas seulement à cause de ce que vous avez subi, mais surtout à cause des mots si cruels que vous avez envers vous même. Subir des maltraitantes, un/des viols, ce n’est pas être faible, ce n’est pas ne pas avoir de respects pour vous même.
Je pense au contraire que l’excès d’empathie conduise à supporter tout ça en se disant que c’est de notre faute et non pas de la faute de celui qui agit mal. Vous deviez l’aimé très fort, et vous devez très certainement être une personne emphatique pour avoir supporter tout ça aussi longtemps. Ce n’est pas un défaut, mais malheureusement, trop de gens profitent de l’empathie, de l’amour.
Toutefois, aujourd’hui vous avez pris conscience que ce n’était pas « normal », que la vie de couple ce n’est pas « un devoir conjugal » et vous sortez de là, à votre rythme. Et cela laisse envisager que le meilleur est devant vous;
Il est important d’en parler, pour vous libérer, mais aussi pour aider les autres femmes/ hommes qui sont dans cette situation et n’en ont pas forcément conscience.Et votre témoignage démontre bien à quel point vous êtes forte, courageuse et respectueuse. Ah aucun moment vous n’accablez le coupable, vous ne faites pas d’amalgame, je vous souhaite vraiment de vous reconstruire et de vivre l’amour. Je vous souhaite d’être apaisée.
Apprenons à nos enfants à respecter les désirs et les refus de l’autre, pour ne plus avoir à entendre et lire ce genre de témoignage.
Bravo à vous d’avoir passer ce cap et livré vos maux.
Virginie dit
J’ai été comme vous, mais plus longtemps… 7 ans. 7 ans de ma vie à faire « mon devoir conjugal » c’est comme ça qu’il l’appelait. J’etais très jeune, aucune expérience et il en à profité. En me mentant, me disant que si il n’avait pas sa « dose » une fois par semaine il en souffrait physiquement. Je passe sur la façon qu’il avait de me faire culpabiliser en prime. Alors je m’executait. Par « chance » Je savais comment boucler ça rapidement… J’ai découvert tard ses mensonges et j’en ai bien honte encore aujourd’hui de l’avoir cru… Mais voilà c’est fait, la page est tournée et je n’ai pas besoin de me pardonner parce que je n’ai rien fait de mal, c’est ce qu’il faut bien que vous compreniez: vous n’avez rien fait de mal. Aujourd’hui je vais très bien même plus que mieux je suis avec quelqu’un qui me respecte et qui voit tout de suite si j’ai envie ou pas du tout et qui n’insiste même pas. Par contre je me suis juré que mes enfants ne vivraient pas ça surtout ma fille et pour ça je vais lui faire lire le livre d’Isabelle Filliozat qui explique tout celà très bien. Je ne veut pas qu’elle vice ce que j’ai vécu. Bon courage et n’oubliez pas que vous n’existe coupable de rien.