Joséphine a accouché, très tôt, trop tôt d’un bébé grand prématuré. 1 an après, elle souhaite revenir sur cette naissance précoce, le manque de prise en charge psychologique pour les jeunes mamans dans son cas, mais aussi le manque d’aide pour l’allaitement. Voici son témoignage.
{Témoignage} Grand prématuré et manque d’accompagnement
Bonjour à toutes les lectrices du blog,
Maman depuis presqu’un an, à l’approche du premier anniversaire de mon petit garçon, j’ai ressenti le besoin de partager les circonstances de sa naissance… L’histoire se passe à Bruxelles, en Belgique. Ma grossesse se passait super bien. Pas de nausée, une impression d’être beaucoup plus zen, moins speedée, plus connectée à moi-même, moi qui suis d’habitude plutôt angoissée, stressée par la masse de choses que je me dis que je dois faire, hypersensible à la moindre perturbation extérieure…
La naissance était prévue pour le 5 juillet.
Vers la mi-mai, j’ai commencé à avoir des contractions. La fatigue probablement… L’air de rien, je me mettais encore bien la pression au niveau du boulot. Après quelques jours, comme cela ne passait pas même avec la trêve du week-end, on décide de se rendre à la maternité. C’est un dimanche. On se fait remballer aux urgences (c’est la procédure !), où on nous fait remonter à la maternité (suite de la procédure). On comprend bien à la mine de la sage-femme que ce n’est pas terrible… Monitoring, prise de sang, écho, nouvelle écho avec un appareil plus performant… Coup de fil au gynécologue… On nous annonce qu’on doit s’attendre à ce que « bébé » arrive plus tôt que prévu.
Combien plus tôt ? quelques jours ? quelques semaines ?
Euh, plutôt quelques semaines !
Mais pas trop de semaines ?? rassurez-nous !!
On tombe des nues.
Rien n’est prêt pour l’arrivée de bébé !
On s’inquiète pour notre petit bébé, qui est en fait beaucoup trop petit par rapport au stade de la grossesse. Il y a un problème avec le placenta. Les artères utérines ne se sont pas bien dilatées. Il n’est plus bien alimenté. Les Dopplers sont mauvais… On reçoit toutes ces infos comme on peut, en essayant de relativiser, mais en se préparant au pire.
L’idée que ce n’était peut-être pas pour nous de devenir parents me traverse la tête.
On est transférés dans un autre hôpital qui peut accueillir les grands prématurés
Là c’est reparti. Encore deux échos, trois, je ne sais plus…
La gynécologue de garde nous engueule en nous demandant ce qu’on a fait pour un suivi de grossesse. Elle ne comprend pas que le problème n’ait pas été détecté plus tôt. Les sages-femmes nous demandent si on a déjà pensé au prénom. Elles se veulent rassurantes en nous disant qu’on a 10 jours pour se décider après la naissance. On comprend que ce n’est plus une question de semaines, qu’on va être rapidement fixés sur notre sort. Tant mieux quelque part, cette journée n’en finit plus. Mais non pas tant mieux… qu’est-ce qui nous arrive ?! Rien ne devait se passer comme ça !!
La gynécologue de garde s’est calmée. Elle nous explique ce qui se passe, comment ils évaluent la situation au fur et à mesure avec les pédiatres. Elle nous prévient qu’à ce stade, notre bébé est trop faible pour un accouchement par voie basse. Ce sera une césarienne. Moi, franchement, tout m’est égal du moment qu’on fasse au mieux pour notre bébé. S’il faut me couper un bras, c’est OK aussi. Après un énième examen, elle déclare avec beaucoup de sang froid que pour elle, c’est maintenant ou jamais, et part prévenir l’équipe et se préparer.
L’anesthésiste court dans tous les sens. On dirait qu’il est de garde pour tout l’hôpital. Je lui demande s’ils pratiquent l’hypnose en m’attendant à me faire remballer. Sa collègue de garde suit une formation, il va la prévenir… elle est toute contente de pouvoir pratiquer.
On me fait entrer au bloc. Mon mari doit attendre dans le couloir le temps que l’anesthésie fasse son effet. Ensuite tout va très vite : en quelques minutes, notre bébé se retrouve dehors, crie (ouf ! il respire !) et on a juste le temps de prononcer son prénom avant qu’il soit emmené par les pédiatres.
Pas de peau à peau, pas de câlin, ni de première tétée…
Pendant qu’on me recoud, on plaisante un peu avec les gynécologues et les sages-femmes qui ont assisté à l’opération. On prévient nos parents. On plane un peu. Il est minuit. Je me dis que je dois prévenir le boulot.
Les pédiatres viennent nous montrer notre bébé.
Il est installé dans la couveuse.
On peut passer notre main par le hublot et lui dire qu’on est son papa et sa maman. C’est dur de ne pas pouvoir le prendre contre moi.
Ensuite les sages-femmes demandent où il faut m’installer. Chambre double, chambre simple ? Mon assurance ne démarre que dans 10 jours, ce sera la chambre double. Elles conseillent à mon mari de rentrer se reposer. On me descend en salle de réveil. Je suis toute seule, mon bébé est tout seul aussi. Mais il est en vie !
Super début de vie de famille… chacun de son côté.
Le lendemain, j’ai mal et je ne réalise toujours pas ce qui nous est arrivé, mais je fais bonne figure. On m’emmène en chaise roulante près de notre bébé, dans le service de néonatologie intensive. Les infirmières de la maternité et celles de la néonat sont toutes hyper gentilles. Je suis épatée, mes amies mamans m’avaient raconté tellement de trucs invraisemblables sur les infirmières. On dépose mon bébé contre moi. Enfin ! Les émotions se mélangent, je suis à la fois trop heureuse et terrifiée qu’il soit si petit. L’après-midi nos parents et beaux-parents viennent nous voir et faire la connaissance de leur nouveau petit-fils. Là aussi je fais bonne figure. Il faut se montrer forts, faire un peu d’humour, faire semblant que tout va bien pour rassurer les uns, donner le change aux autres, pour je ne sais quelle raison en fait…
J’aurais tellement voulu que ma maman me prenne dans ses bras. Qu’elle me console, qu’elle me cajole. Au lieu de cela, elle aussi se sent obligée de faire des politesses et de prendre des nouvelles de toute ma belle-famille.
Quelques semaines plus tard, elle m’avouera qu’ils pensaient que ce bébé de 1.3 kg ne passerait pas la nuit
J’imagine qu’eux aussi ont dû se forcer pour faire comme si tout allait bien.
Je dois apprendre à tirer mon lait. C’est toujours la gentille sage-femme. Elle est super encourageante : en me félicitant, elle recueille avec une seringue la micro-goutte que je suis parvenue à récolter et court la porter en néonat.
Ce soir-là, quand mon mari me quitte, une nouvelle sage-femme vient me voir et croit bien faire en s’asseyant sur mon lit pour papoter. Moi j’ai juste envie qu’on me laisse, je n’en peux plus de faire comme si tout va bien. J’ai besoin de me reposer de ce tourbillon d’émotions des dernières 24 heures. Je ne veux pas en parler, j’ai juste besoin que ça retombe un peu. Mais je fais bonne figure, encore et toujours. Je lui dis que ça va, enfin pas tout à fait, pour lui donner du grain à moudre et qu’elle s’en aille. Je ne la sens pas ! Elle se met à me dire que dans certains cas, les mamans « dans ma situation » ressentent de la culpabilité. J’aurais dû me fâcher, lui demander de quel droit elle se permettait de créer encore plus de chaos dans ma tête. Moi je ressentais de la colère, je n’avais rien demandé à personne, j’étais bien quand j’étais enceinte, je ne voulais pas que ça s’arrête. Surtout pas comme ça. Je ressentais de la tristesse et de la peur pour ce bébé tout seul un étage en-dessous, ça me brisait le cœur de le laisser comme ça au milieu des tuyaux et des électrodes pour son premier contact avec le monde. Mais étonnamment, je n’avais pas pensé à ressentir de culpabilité ! Je me mets à pleurer et elle parait soulagée. Elle doit se dire qu’elle a réussi sa mission, en me permettant de lâcher ce que j’ai sur le cœur. Si elle savait…
J’ai pleuré toute la nuit. Le lendemain matin, les sages-femmes sympas sont de retour. Je me remets à pleurer quand elles me demandent comment ça va.
On convient que ce serait bien de rencontrer la psychologue du service.
Le soir, la sage-femme de la veille, qui a dû voir sur ma fiche que j’avais rdv avec la psy, me fait un commentaire du genre « ah quand même » (elle me dit ça comme elle aurait dit « on fait moins la fière »). Plus tard dans la soirée, sa collègue refuse de me fournir deux kits de tire-lait (ndlr : pour tirer le lait des deux seins à la fois, apparemment ça stimule la lactation), sous prétexte que ce n’est pas écologique. En pleine période électorale, elle se croit obligée de préciser qu’elle n’aime pas les écolos et qu’elle ne votera pas pour eux. Je me sens visée par son commentaire. J’ai l’impression que cette maternité se métamorphose en prison pour femmes le soir venu ! Elle râle quand je la rappelle pour lui dire que j’ai tiré mon lait. « Tout ça pour ça ? » Il n’y avait qu’une toute petite quantité – je suppose que j’aurais dû me sentir coupable pour ça aussi et promettre de faire mieux la prochaine fois. Elle me fait savoir sans ménagement qu’elle n’est pas sûre de pouvoir récupérer quelque chose.
C’est tellement énorme que je n’ai plus pleuré. De toute façon j’étais à sa merci. J’avais encore une sonde, je ne savais pas marcher toute seule pour aller me servir dans la réserve, mon mari était rentré chez nous…
En guise de bonsoir, elle propose de me mettre un suppositoire. Je refuse poliment, je préfère continuer à avoir mal et la laisser régler ses comptes avec quelqu’un d’autre. Elle aussi, elle ferait bien d’aller voir la psy.
Notre bébé est resté six semaines en néonatologie.
Quatre semaines dans cet hôpital et deux semaines dans l’hôpital où j’aurais dû accoucher (en vertu des conventions économiques entre hôpitaux, oui oui). Il a fallu se réhabituer à un nouveau service, de nouvelles manières de faire, de nouvelles mesquineries. « Je dis ça, c’est pas pour vous culpabiliser, mais on est presque à court de lait… vous tirez bien votre lait, Madame ??? »
J’étais hyper angoissée avec cette histoire de lait. J’essayais de me discipliner au maximum, mais visiblement je m’y prenais mal ou je n’avais pas une vocation de mère nourricière. Je voyais bien, aux commentaires et conseils (pas toujours sollicités) que je recevais, que ma production n’était pas bonne. J’avais lu plein de trucs sur les bienfaits du lait maternel pour les prématurés. Je n’arrêtais pas de calculer si les réserves suffiraient jusqu’au prochain repas, comment répartir les peaux à peaux par rapport aux heures où je devais tirer mon lait. J’osais à peine dire aux infirmières que je voulais rentrer un peu chez moi pour me reposer. J’avais la tête complètement saturée de questions logistiques. Sans mon mari pour jouer les intermédiaires entre ce fichu tire-lait, les infirmières et moi, je serais devenue folle.
Pendant ces six semaines, nous sommes rentrés tous les soirs chez nous « en amoureux », sans notre petit, avec un sentiment un peu irréel d’avoir et ne pas avoir un bébé. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, il n’est pas prévu que les parents (ou même un parent) puissent avoir un lit près du bébé.
J’ai pu rencontrer trois fois la psychologue du premier hôpital. Elle était super et je serais bien allée la voir toutes les semaines, mais elle avait un mi-temps pour la néonat et un mi-temps pour le service des enfants atteints d’un cancer. Je n’ai pas osé demander à la voir davantage, j’aurais eu l’impression d’usurper la place de quelqu’un qui en avait plus besoin.
L’angoisse du retour à la maison avec un si petit bébé
Quand on a enfin pu rentrer à la maison avec notre bébé, j’ai été prise de panique. J’avais perdu toute confiance en moi pendant ces semaines où il avait été pris en charge par d’autres. Pourtant, on avait été écolés pour le change, la toilette, le bain… Des conseils, on en avait reçu ! On connaissait tous les gestes techniques.
J’ai pleuré pendant un mois et on est allés s’installer chez mes parents parce que j’étais complètement angoissée à l’idée de me retrouver toute seule dans notre appart.
Moi qui m’imaginais que ce serait une fête triomphale de nous retrouver enfin tous les trois…
Aujourd’hui, notre bébé va avoir un an. Toutes les séparations ont été douloureuses : le laisser à l’hôpital à la fin du séjour autorisé à la maternité, quitter l’hôpital tous les soirs en le laissant dormir seul dans sa couveuse, sa première journée à la crèche, le sevrage… J’ai encore souvent des coups de blues, un pincement au cœur quand je repense à ses débuts dans la vie.
Et en même temps je remercie le ciel chaque jour que notre bébé soit en vie et en bonne santé
D’habiter dans un pays où les soins de santé sont à la pointe
D’avoir un mari qui s’est tout de suite révélé être un papa génial,
Une famille et des amis qui nous ont soutenus tout au long de l’hospitalisation.
Peut-être que je vivrais les choses de la même manière s’il était né à terme.
Peut-être pas…
Ou si on avait pu rester près de lui jour et nuit à l’hôpital
S’il y avait eu plus de psychologues dans le service pour pouvoir bénéficier d’un suivi plus long
Si j’avais reçu plus de bienveillance de la part de certains membres du corps médical
Des explications scientifiques et factuelles concernant la lactation et l’allaitement
Aujourd’hui, je continue à être tiraillée entre des états d’âme contradictoires :
Une grosse rancœur par rapport à un tas de choses (mon travail, l’hôpital, cette grossesse écourtée, ce temps qu’on m’a volé) et une immense gratitude envers la vie
Le bonheur d’avoir un bébé si merveilleux et la frustration de ne plus avoir une minute pour moi
Un besoin de fusion avec lui et le besoin de me retrouver moi
L’émerveillement de découvrir ses progrès chaque jour et un épuisement complet
Mais peut-être que c’est ça, devenir maman ?
La recherche d’un nouvel équilibre entre soi et les autres, l’autre, ce tout petit autre qui sort de soi
Un soi devenu autre, qui doit négocier une transition entre la vie d’avant et un univers inconnu, accueillir pleinement l’ici et maintenant, apprivoiser un nouvel instinct
Renaître à soi en donnant naissance à un autre
Découvrir en soi un océan d’amour
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Geraldine dit
Comme je me retrouve dans ton témoignage… Ma fille est née par césarienne à 32 sa suite à un placenta previa et après 1 mois d hospitalisation. On m à volé une bonne partie d ema grossesse. J étais enceinte et du jour au lendemain je ne l étais plus. Ce petit être de 1,750kg qui ne respirait pas tout seul était né.
Je voulais absolument allaité, j ai donc tiré mon lait mais sans que personne ne l expliqué quand ou comment… Heureusement c était mon deuxième enfant, j avais donc déjà une expérience d allaitement.
Ça a été une expérience marquante, qui même aujourd hui, 7 ans après me donne des petits coups de blues.
A cause de cette expérience et avec le tps, j ai ressenti le besoin d avoir une grossesse normal, qui va à terme. J ai donc eu un 3 ème enfant 6 ans après et j ai savouré chaque moment de ma grossesse et de mon allaitement 😊