Elles aident à donner la vie, assistent les mamans, sont les premières à accueillir les bébés, ne comptent ni leurs heures ni leurs week-ends, font 5 années d’études pour réaliser leur vocation… mais sans aucune reconnaissance du gouvernement. Voici le témoignage d’une sage-femme en colère.
Témoignage d’une sage-femme en colère
Bonjour,
Je vous lis votre blog depuis 2014, et j’apprécie votre bienveillance. J’ai beaucoup appris grâce à vos témoignages.
Aujourd’hui c’est mon tour : je suis une sage-femme en colère qui n’exerce plus.
Pourquoi je n’exerce plus « le plus beau métier du monde » ? Je n’ai pas fait de connerie. Je ne suis pas déviante ni « trop sensible ». Mais les conditions d’exercice ne me conviennent pas. Et je ne suis pas seule.
L’étude publiée par l’ANESF en 2018 a montré que 41% des étudiant.e.s sages-femmes ont vu leur santé se dégrader et 7/10 ont un épisode dépressif lors de leurs études, 61% se disent maltraité.e.s.
Le Conseil National de l’Ordre des Sages-Femmes (CNOSF) a envoyé en juin 2020 un questionnaire aux 24000 inscrit.e.s pour faire ressortir 20 propositions pour la santé des femmes. Sur 10600 réponses, plus de 55% ont envisagé de quitter le métier, et 96% estiment que leur métier n’est pas valorisé.
Sage-femme est une vocation
Liée à notre histoire, pas un hasard. Ce n’est pas du bénévolat. Ma maman a fait une dépression du post-partum à ma naissance, elle n’a pas été diagnostiquée ni suivie. Depuis mes 4 ans, je veux « m’occuper des mamans ». C’est pour ça que je suis sage-femme. J’étais prête à tout pour cette mission. J’y ai laissé un morceau de ma santé, mes week-end, mes loisirs. Et j’ai 28 ans.
J’ai travaillé 3 mois à l’hôpital. Le salaire était correct selon moi mais le travail dangereux : 1 SF pour 15 patientes avec des grossesses à risque la nuit. C’est insuffisant (selon nous) pour un suivi de qualité. Nous avons frôlé les catastrophes plusieurs fois, pas de faute médicale, juste « pas de chance ».
Il y a eu des morts « pas de chance ». Juridiquement pas de condamnation parce que pas de faute, mais nous avions la responsabilité de ces femmes et de ces fœtus, nous sommes condamné.e.s par notre culpabilité. Je ne veux pas de cette culpabilité.
Je dis stop et je reprends des études.
La profession me manque, j’essaie le libéral. En 10 mois j’ai gagné 15000€ en travaillant sans limites d’heures, week-end compris. A cela vous retirez les charges. « Les sages-femmes ne gagnent pas assez pour se permettre d’avoir les services d’un expert-comptable » m’a dit l’experte-comptable que j’ai souhaité consulter. Tant pis, je ferai la comptabilité seule, avec la prise de RDV, des cotations, le ménage, la gestion des stocks, les réclamations à la sécurité sociale… Je vis seule, je n’ai pas de conjoint.e pour payer le loyer, l’électricité ou la nourriture.
J’ai dû demander une pension alimentaire à mon père.
Je dis stop, et je continue mes études.
Mais j’ai un loyer à payer, alors je deviens secrétaire médicale à mi-temps et je gagne 850€/ mois. J’ai été SF libérale, donc je suis un peu secrétaire non ?
Le CoVid arrive, le service ferme, fin du contrat. Mais je suis SF, il est insupportable de rester confinée quand mes ami.e.s vivent l’enfer, et je vais prêter main forte en maternité. Je sais qu’il n’y aura pas de prime CoVid pour les SF. Fin du confinement, stagnation des hospitalisations, les soignants soufflent un peu, le gouvernement veut les remercier et les valoriser.
Et nous, sages-femmes, nous sommes oublié.e.s.
Aujourd’hui nous sommes en colère.
Le CNOSF et nos syndicats étaient présents à l’ouverture du Ségur, puis plus rien. Le décret initial pour la distribution des masques ne mentionne pas les SF, mais nous avons travaillé. Les conclusions du Ségur ne mentionnent pas les SF, mais nous avons travaillé. Nous faisons 5 années d’études, nous sommes une profession MÉDICALE (prescription, interprétation, diagnostic, décision, responsabilité devant les tribunaux).
C’est une provocation de plus.
Je suis sage-femme à vie. Je suis en colère comme tout.e.s les autres SF.
Aidez-nous, ne nous oubliez pas, ne nous réduisez pas au rôle de « l’infirmière qui pèse le bébé », écrivez à vos députés pour leur crier l’intolérable situation dans laquelle nous sommes et les conséquences pour vous.
Nous ignorer c’est ignorer les femmes et les familles.
Vous souhaitez publier votre histoire sur le blog ? Déposez votre témoignage mariage ou témoignage maternité ici.
Margot dit
Je te comprends tellement ! Je suis totalement d’accord avec toi.
Mais honnêtement, je me sens un peu inutile car je pense que mon député n’en a rien à faire ! Alors à mon petit niveau je me sens un peu impuissante. Je continue à voter, à parler, à manifester pour signifier ma colère. Et je pense fort à vous.
Lo01 dit
Merci à vous , merci de prendre soin des femmes, ma sage-femme est devenue un membre de notre famille tellement elle a été importante durant mes 2 grossesses. Merci, infiniment Merci.
Le Bigot dit
Je ne sais que vous dire… Vraiment je suis infirmière en ehpad et je sais que trop de personnes ont été oubliées… C’est de trop!! Gérer l’hôpital comme une entreprise pour faire du profit je dis stop!!!
Plein de courage vraiment!!!!