Juju pensait qu’elle ne deviendrait jamais maman. Parce qu’elle ne voulait pas d’enfant au début et puisqu’elle avait en plus un syndrome qui l’empêchait de produire des hormones sexuelles. Et puis, tout a changé, elle a fini par tomber enceinte mais rien n’a été idyllique. Hypérémèse gravidique, dépression post-partum… et puis enfin le bonheur <3 Voici son témoignage.
{Témoignage} Avoir un enfant ce n’est pas forcément un coup de foudre
Bonjour tout le monde !
C’est la deuxième fois que je prends ma plume pour vous raconter mon histoire 🙂 Je suis venue une première fois pour vous parler de mon cas un peu étrange, et de la maladie (enfin du syndrome) dont j’étais atteinte. Le syndrome Kallmann de Morsier, un nom barbare pour signifier que mon corps ne produisait aucune hormone sexuelle, impliquant un retard pubertaire et une impossibilité d’avoir des enfants.
Beaucoup de choses se sont passées depuis ce premier témoignage et je suis heureuse de vous annoncer que je suis maman ! Ce fut un long parcours semé d’embûches, mais je tiens à témoigner aujourd’hui pour toutes celles et ceux qui sont dans mon cas et qui ont l’impression que ça n’arrivera qu’aux autres.
A la base, je ne voulais pas d’enfant
D’aussi loin que remontent mes souvenirs, je n’ai jamais eu envie d’avoir des enfants. Ils ne m’ont jamais attiré, je les trouvais toujours ennuyants, encombrants et bruyants (à vrai dire, mon avis n’a pas changé ! mdr !). J’ai été tante assez vite, à 15 ans puis à 17 ans et j’ai bien aimé m’occuper de mes nièces, leur donner le biberon, jouer avec, mais il ne fallait pas que ça dure trop longtemps non plus. Très vite, j’ai été conforté dans l’idée que la maternité n’était pas pour moi lorsque j’ai appris à 17 ans que mon utérus et mes ovaires étaient atrophiés, et que donc je ne pourrais jamais donner la vie. Et puis j’ai grandi, j’ai subi des traitements hormonaux lourds à partir de 22 ans avec des spécialistes qui semblaient rassurés sur la capacité de mon corps à se développer. J’ai pris ces traitements, sans être réellement convaincue, mais avec dans l’idée qu’un jour peut-être, j’aurais envie de faire un enfant (même si cela me semblait nébuleux). Je suis sortie avec des mecs qui s’en foutaient, pour qui cela n’avait pas d’importance, mais nous n’avions ni l’envie ni le besoin à ce moment-là de fonder une famille. À 25 ans, tout le corps médical a été stupéfait lorsqu’après des examens approfondis, nous avons découvert que mon utérus avait atteint une taille normale, grâce aux traitements hormonaux (ah donc les règles super douloureuses, c’était ça !). Mon copain de l’époque n’a eu aucune réaction à cette bonne nouvelle, comme si cela n’avait aucune importance. La douche froide pour moi… Mais ça m’a ouvert les yeux sur la personne avec qui je vivais.
Et puis un jour j’ai rencontré l’homme qui allait devenir mon mari.
Il ne m’a jamais caché son envie d’être père, une envie qu’il avait depuis très longtemps, mais il me connaissait et avait prévu de prendre son mal en patience, parce que comme il me disait « ce sera toi la mère de mes enfants, peu importe que ce soit dans 2 ans ou 10 ans ».
En janvier 2019, j’ai rdv avec mon endocrinologue qui me suit depuis très longtemps pour faire le point annuel habituel. Contente de voir que ma vie personnelle s’épanouit enfin, elle me parle de cette possibilité d’enfants, mais ma seule réaction a été « mouais… non bof, je n’ai pas envie ». Et puis… Ce fameux « et puis… » qui va nous mener deux mois plus tard dans le bureau de l’infirmière de PMA… Moi-même je ne saurais pas l’expliquer, mais le fait est qu’entre janvier et mars 2019 j’ai commencé à penser à ce couple que nous faisions, cette confiance pleine et entière que j’avais toujours eue en cet homme et son envie viscérale d’être papa. Et puis… Et puis pourquoi pas ? Contrairement à d’autres femmes qui avaient toujours rêvé d’être mères et qui y pensaient depuis toujours, moi je me suis dit « OK, faisons-le, je suis prête ». Alors en mars, on a commencé la PMA et j’étais loin de me douter de tout ce que j’allais vivre, et du courage dont j’allais être capable pour aller jusqu’au bout.
Il a fallu forcer mon corps à ovuler
Étant donné que je n’ai pas d’hormones, je n’ovule pas. Le principe de ma PMA a été donc de « forcer » mon corps à ovuler avec un traitement spécifique. Sur un cycle de 4 semaines, je portais pendant 3 semaines une pompe sur le ventre dans laquelle se cachait un cathéter qui m’injectait du produit toutes les 90 minutes (avec un petit « tac tac tac » qui me faisait passer pour une femme bionique). Tous les 3 jours, je devais mettre une pompe neuve avec un nouveau cathéter, donc tous les 3 jours je me piquais dans le ventre et je portais cette chose, qui heureusement est assez discrète.
Dans le même temps, j’allais 2 à 3 fois par semaine au CHU, bâtiment PMA, pour faire une prise de sang et passer une écho (vaginale hein, sinon ce n’est pas drôle). Donc sur 3 semaines de PMA, j’avais des piqûres dans le ventre, des prises de sang et des échos. Les mois se sont enchaînés et les échecs aussi. Au bout de 5 mois, je commençais à fatiguer, physiquement et psychologiquement. Sur mon corps se dessinait une œuvre d’art de bleus, de verts et de jaunes, preuves des nombreuses piqûres que je supportais en silence. Notre vie de couple était rythmée par les allers-retours au CHU, notre vie sexuelle se résumait à essayer de faire un enfant, et pendant ce temps ma vie professionnelle prenait de la hauteur, m’obligeant à bosser comme une dingue.
En juillet 2019, j’ai bouclé mes objectifs pro et je me suis effondrée. J’avais tellement mal, cette foutue pompe me tiraillait la peau, j’étais parfois obligée de repiquer sur des bleus ce qui m’imposait de marcher courbée pour éviter que ça ne tire trop sur la peau. Bref, ça n’allait pas fort alors d’un commun accord on a décidé d’arrêter pour un temps avec mon conjoint. Décision qui a été très mal prise par le CHU qui ont tenté de nous en dissuader « mais ça va marcher, ça ne fait pas très longtemps ! » « il ne faut pas baisser les bras ! ». Oui, mais non, et c’est notre choix de tout stopper. L’arrêt a été brutal et la chute plus encore, car personne n’a voulu me redonner un traitement hormonal « c’est le mois d’août, les médecins sont en vacances ! » Et moi alors ? Je passe d’un déferlement hormonal pendant des mois à… plus rien ?! Les trois mois suivants ont été très difficiles, je perdais mes cheveux par paquet, j’avais plein de problèmes de peau et je ne parle pas de mon caractère, encore plus terrible que d’habitude. Bref, la fin d’année a été compliquée, mais on a remonté la pente et décidé de reprendre les essais en janvier 2020. Mon conjoint n’était pas très chaud, mais j’ai tout de même reposé la pompe. Février 2020, on part un week-end en famille et pendant le trajet je me sens excessivement fatiguée, avec des douleurs de règles diffuses. Plus le week-end passe, plus les douleurs augmentent et je suis persuadée d’être enceinte, je le ressens au fond de mes tripes. Mon conjoint est sceptique, mais moi je le sais.
Je suis enceinte !
Le lundi je fais un test de grossesse, le petit + met super longtemps à apparaître, et d’ailleurs est-ce que c’est vraiment un + ? L’infirmière m’avait dit qu’après la dernière injection, il fallait attendre 14 jours, car ça risquait de faire des faux positifs. J’en étais à 12, je n’avais pas pu attendre. Et maintenant je me retrouvais avec un test positif, persuadée d’être enceinte depuis déjà 3 jours. J’appelle l’infirmière et lui explique, elle me dit que ce n’est pas possible encore, qu’il faut attendre. Mais j’insiste, parce que je suis sûre ! Alors on fait une prise de sang et la preuve est bien là ! Je suis enceinte, de quelques jours seulement. L’infirmière est sidérée, incapable de comprendre cette sensation qui m’habite depuis des jours. Heureuse et fière, je l’annonce au futur papa et nous flottons dans notre bulle de bonheur pendant 3 semaines. Là, je commence à ressentir les premiers signes de grossesse : nausée, tiraillements dans le bas ventre et fatigue. Et puis je vomis, plusieurs fois par jour.
Le médecin me dit que c’est impossible d’être déjà malade à 3 semaines de grossesse (heuuu ben si ????), alors il me donne un traitement pour la nausée passagère. Quelques jours plus tard, on apprend le confinement national, interdiction de sortir de chez soi. Le même jour, alors que mon conjoint revient du travail, notre petite bulle va littéralement exploser. Les vomissements s’accentuent, trois fois, dix fois, vingt fois par jour. J’ai la gorge et le nez brûlé à l’intérieur, je ne peux plus rien avaler. Même l’eau je ne la garde pas. En moins de six semaines, je perds 6 kilos, le mois suivant j’en perds encore 4. Le médecin ne sait plus quoi faire, m’hospitaliser avec les risques liés au covid ou me laisser à la maison avec un traitement ? La seule chose qui va fonctionner c’est un somnifère qui va ralentir les vomissements et me faire dormir 15 heures par jour. La journée, je fais des crises de douleur, mon estomac n’est plus qu’une boule d’inflammation qui ne me laisse aucun répit. La Gynéco ne fera strictement rien pour moi parce que « c’est normal d’être malade quand on est enceinte ». Ah… Bon et bien merci de votre soutien ! Il n’y aura que le médecin pour constater les dégâts, tenter de rectifier le tir et mettre un nom sur ce que je subissais : l’hyperémèse gravidique, une pathologie qui touche moins de 3% des femmes enceintes et dont l’origine reste encore assez floue.
Enceinte, je fais de l’hyperémèse gravidique
Je vais rester couchée 5 mois entiers, avant que les vomissements ne s’estompent pour ne laisser que la nausée qui me restera H24 jusqu’à l’accouchement. J’ai pu reprendre le travail 2-3 mois, un peu en galère avec mes gâteaux et mes fruits constamment dans les poches pour éviter d’être envahie par la nausée trop fréquemment et les quelques vomissements qui s’invitent régulièrement. Une semaine avant le terme, mes contractions se déclenchent et après 35 heures de travail et quelques frayeurs, on dépose enfin ma fille sur moi. Je me retrouve avec un petit paquet d’à peine 3 kilos sur le ventre, qui me regarde en silence, de ses grands yeux sombres. Je pleure de soulagement, de joie aussi certainement, mais je cherche en moi cette bouffée d’amour inconditionnel dont tout le monde parle, mais en vain.
Je ne ressens que la douleur, la fatigue de ne pas avoir dormi pendant 2 jours, et cette petite fierté d’y être arrivé après tout ça. Mais ce bébé qui me regarde, je n’arrive pas à décrypter ce qu’il ressent, et tout est confus. On me la reprend le temps des examens, je me douche et on m’installe dans ma chambre avec ce petit paquet qui dort dans sa gigoteuse trop grande pour elle. Je vais rester cinq jours à la maternité, à pleurer. L’allaitement ne marche pas bien, je ne produis pas assez de lait, et je n’ai aucun sentiment d’amour pour cet enfant. Elle m’est totalement étrangère ! Ou est ce bébé qui venait se caler dans ma paume contre mon ventre pour faire un câlin ? Ou est ce bébé qui naviguait au son de nos voix avec son papa ? Ou est l’amour que je suis censé ressentir ? Je me sens vide, affreuse, comme un monstre, incapable d’aimer sa progéniture.
C’est parti pour une dépression post-partum
Je m’en occupe parce qu’il le faut, parce qu’elle a besoin de moi, et non par plaisir. Je pleure de soulagement quand elle s’endort enfin, et je prie pour qu’elle ne se réveille que le plus tard possible. Ce sera comme ça pendant presque un mois. Un mois à pleurer, à m’occuper de ma fille sans envie ni plaisir, un mois à regretter ma vie, mon existence, avec pour seule envie : partir d’ici, tout plaquer et ne jamais revenir. La PMI m’envoie chez la psy à la maternité et peu à peu, je mets des mots sur ce qu’il se passe. On me parle de baby blues, de dépression post-partum, que tout ça, c’est normal et surtout que ce n’est pas de ma faute. Je suis tellement en colère, en colère contre ces femmes qui disent que l’instinct sera là, que l’amour fera le reste, que ce sera le bonheur. Le bonheur ? J’ai vécu l’un des moments les plus difficiles de ma vie ! Et s’occuper d’un enfant qui ne fait rien d’autre que pleurer (oui parce que la pauvre était sujette au RGO et aux coliques, sinon ça ne serait pas drôle), sans rien en retour c’est difficile. J’ai longtemps eu honte d’être comme cela, longtemps ressenti cette culpabilité de ne pas aimer profondément ma fille.
Et puis un jour elle s’est mise à me sourire, non pas sourire au monde, mais seulement à moi. Même pas à son papa, seulement à sa maman. Peu de temps après elle a commencé à faire ses nuits, et nous avons pu enfin retrouver le sommeil après des nuits à la bercer à cause de ses douleurs intestinales. Ces sourires timides se sont transformés en sourires véritables, ceux qui illuminent le visage. Cette relation, qui avait démarré il y a des semaines, prenait enfin vie. Je n’ai pas eu le coup de foudre pour ce petit être inconnu, tout comme je n’ai pas eu le coup de foudre pour son papa.
L’amour s’est développé au fur et à mesure, nous avons appris à nous connaître, à nous apprécier.
J’aime m’occuper d’elle, la prendre en écharpe, la bercer, mais j’apprécie aussi de la déposer à la MAM pour aller travailler et faire autre chose. J’aime être une mère, mais j’aime aussi être juste une femme, souvent indépendante et qui vit dans sa bulle. L’amour est là, profond, sincère, mais il aura fallu quelques semaines pour qu’il se développe vraiment. Avoir un enfant ce n’est pas forcément un coup de foudre, parfois c’est comme une relation amoureuse, ça prend son temps. Il faut arrêter de dire aux futures mamans qu’elles vont fondre de bonheur et d’amour, que tout ira bien. La vérité c’est que devenir maman chamboule l’existence entière et qu’il faut parfois du temps pour s’habituer à partager sa vie avec un bébé complètement dépendant. Et puis un jour on s’aperçoit qu’on est raide dingue, et que ça sera pour la vie !
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Manon dit
Bonjour,
Tout d’abord bravo pour ce parcours que j’imagine pas évident et félicitations pour la naissance de votre bébé. Et surtout MERCI d’oser dire la vérité sur la maternité. Jeune maman également je suis tombé de très haut après la naissance de ma fille. Pourtant il me semblait avoir été préparé mais pouvons nous l’être vraiment avant que bébé soit là? Tous ces changements pour le couple, le fait de ne plus avoir une seconde pour nous, pleurer h24 à cause des hormones comme tout le monde dit si bien, et se sentir totalement vide de l’intérieur avec ce bébé dans les bras qui ne me semblait pas être le mien. Alors merci pour votre témoignage. Je ferais de même très rapidement. À nous les femmes et jeunes parents de prendre la parole pour lever les tabous de la maternité. Non pas pour dissuader les personnes de devenir parents, mais pour leur permettre de le devenir en connaissance de cause et surtout d’arrêter cette culpabilité qu’on peut avoir après la naissance en se disant « ça n’arrive qu’à moi ».